Cette année, le slogan phare du carnaval en Guyane donne le ton : c’est le plus pimenté de la Caraïbe ! Normal, Cayenne est la capitale du piment. Et vrai, dans le sens où il présente des spécificités traditionnelles que l’on ne rencontre nulle part ailleurs.
Il est long le Carnaval cette année, deux mois, du 6 janvier au 6 mars, durant lesquels il tient le haut du pavé, focalisant les énergies, mélangeant rituels catholiques et paganisme débridé. Plongeons dans ce melting pot festif et fascinant, ses origines, son évolution et ses codes parfois drastiques.
Dès l’Antiquité, et dans toutes les civilisations, le rythme des saisons était ritualisé par des fêtes orgiaques : Saturnales et Lupercales romaines, Bacchanales grecques fêtaient Bacchus/Dionysos, le dieu de la fureur, de l’ivresse et des débordements, notamment sexuels. Les hiérarchies sociales sont bousculées, voire inversées, on s’affranchit des règles et des contraintes du quotidien. L’Église toutefois voyait d’un très mauvais œil le côté païen de cette fête populaire, qui, au Moyen-âge avait pris de l’ampleur et gagnait l’Europe. Elle inscrit donc la période du Carnaval dans le calendrier liturgique, en fixe la durée de l’Épiphanie au Mercredi des Cendres, un mano en la mano entre le sacré et le profane. En effet, l’étymologie première du mot Carnaval est caro, la chair, en latin. De là carne levare, ou carnis levanem qui a donné en bas latin carnevalem, signifiant « enlèvement de la chair » ou « adieu à la chair ». Allusion à la période où l’on consomme une dernière fois des aliments gras avant d’entrer en carême, période de 40 jours pendant laquelle les chrétiens doivent faire maigre jusqu’à Pâques. Le carnaval était donc la dernière fête qui donnait lieu à des débordements licencieux, à des « excès permis », comme disait Freud.
En Guyane, le Carnaval pratiqué en Europe est importé par les colons qui le fêtaient dans des bals masqués privés. Les esclaves ont alors mimé ces bals avec ce qu’ils avaient au rythme du ti’bwa et du tambour, fustigeant les riches, les bourgeois, les puissants, épinglant ceux qui dans l’année ont été mêlés à l’actualité, ridicules ou critiquables. Aujourd’hui le Carnaval est la plus grande manifestation collective de la culture créole, image d’une osmose, d’une symbiose entre traditions venues d’Europe, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Sur les 52 carnavals recensés dans le monde, celui de la Guyane est dans le peloton de tête! Alors, zot paré ?
Le Touloulou, c’est la grande affaire du Carnaval en Guyane ! Nulle part ailleurs vous ne retrouverez cette tradition. Cette année, les universités, ou dancings, royaumes des Touloulous, ouvriront huit samedis à compter du 12 janvier. Cette tradition héritée des gangans, veut que les femmes soient entièrement parées et masquées pour aller danser, incognitos et magnifiques dans leurs robes rappelant celles des bourgeoises du 18e et 19e siècle. Mis à part les yeux, pas un cm² de peau n’apparaît. Règle d’or : l’anonymat absolu doit être respecté jusqu’au bout de la nuit. Les Touloulous choisissent leurs cavaliers, non déguisés, lesquels n’ont pas le droit de refuser l’invitation, étant ces nuits-là à leur disposition.
Monica, Touloulou-addict depuis 30 ans, nous raconte ce rituel du samedi. « D’abord, le before. On se retrouve entre copines, on mange la soupe créole pied de veau, booster d’énergie, puis on se prépare. C’est long et minutieux, tout doit tenir toute la nuit! Les novices ou Touloulous « crèche » sont initiées et marraines par les anciennes qui leur transmettent les traditions. Personnellement, Je n’ai jamais donné mon numéro de téléphone à un cavalier en trente ans. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sensualité! Les danses collé-serré invitent à cela, mais garder le contrôle est une règle d’or». Marie-Line Cesto Brachet l’une des gardiennes de la tradition carnavalesque, stipule très clairement les choses dans les 10 commandements du Touloulou qu’elle a rédigés, dont : Le bal masqué ne doit pas, par ton attitude, devenir une maison close. N’assimilez point ces lieux mythiques aux boîtes de nuit ou aux chambres d’hôtel. L’orchestre enchaîne mazurkas, biguines et piké djouk jusqu’au petit matin, laissant les Touloulous et cavaliers ivres de danse et de musique. Si une femme non masquée se prend à danser, immédiatement l’orchestre s’arrête et tous les regards se braquent sur l’irrévérencieuse.
Les deux universités de Cayenne sont Le Soleil Levant, Chez Nana, le plus traditionnel, et Polina, temple du piké, davantage prisé par les jeunes générations. « Personne ne m’a jamais reconnue » précise Monica, « sauf mon mari à qui j’accorde toujours la dernière danse, il le sait ! Ensuite on tombe le masque chez soi et on se retrouve entre amis autour d’un blaff pour se retaper et raconter les anecdotes de la nuit. Le debriefing en quelque sorte ! ». Depuis peu le vidé du dimanche matin renaît, à l’aube, quand ferment les dancings ; les musiciens sortent dans les rues entraînant avec eux les danseurs. Ils « vident » la salle. Et pour celles qui ne se sentent pas prêtes à entrer dans la peau d’un Touloulou, et pour ceux qui craignent de les affronter, profitez quand même du spectacle au Village Nana pour admirer le déboulé des touloulous chatoyants, parés comme des déesses ! Mais ces messieurs auront leur revanche lors des bals Tololos où, à leur tour, ils seront dans l’anonymat total pour mener la danse !
Le grand show des parades Le dimanche après-midi, place aux défilés de rues des groupes carnavalesques, formels ou informels, tant à Cayenne que dans les communes. Le charme du Carnaval de Guyane s’y concentre : spontanéité, authenticité, pluri culturalité. Amusez-vous à reconnaître les personnages traditionnels qui perdurent: Zonbi, Lanmò, Bobi, Jé farin, Djab dan bwèt, Neg Marrons, Karolin, Touloulous sales, Vidangeurs et bien d’autres. Ils reflètent en partie la culture populaire de la Guyane, mais aussi son histoire. Haïti, la Chine, le Brésil, le Pérou sont aussi représentés. Les jours gras sont le décompte final avant la mort du roi Vaval. Lundi gras, jour des mariages burlesques, annonce le début de la fin, tout en humour. C’est le jour où l’on change de sexe! Mardi gras, les diables rouges se déchaînent, c’est l’apothéose festive avant le mercredi des Cendres, la dernière lutte entre le bien et le mal avant l’entrée en Carême. Vaval est brûlé sur la place publique : clap de fin jusqu’à l’année prochaine. Très important ces jours-là, le dress-code. Tout en rouge le mardi, tout en noir et blanc le jour des Cendres, pour les carnavaliers et le public. Voilà, ces quelques pistes pour vous permettre d’entrer de plein pieds dans les festivités du Carnaval guyanais … qui vous attend en ouvrant grand ses bras pour une danse endiablée
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